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Maître Eckhart

Auteur

23 lecteurs

Activité et points forts

ajouté par partemps 2020-04-16T05:59:29+02:00

Biographie

iographie

Maître Eckhart est né en 1260 environ à Hochheim (Thuringe). Il entre au couvent dominicain d'Erfurt en 12753. Il fait ses études d'arts à Paris (hypothétique), puis ses études de théologie à Cologne vers 1280. Il commente les Sentences de Pierre Lombard à Paris en 1293-1294, comme l'usage le voulait dans les universités de l'époque. À partir de 1294, il devient prieur d'Erfurt et vicaire de Thuringe. Il élabore les Entretiens spirituels (ou Instructions spirituelles suivant la traduction), que le vicaire de Thuringe, prieur d'Erfurt, frère Eckhart, de l'Ordre des Frères Prêcheurs, eut avec les fils spirituels qui lui posaient maintes questions pendant leurs discussions du soir, ainsi qu'il est rappelé au début du livre3.

Il enseigne à Paris en 1302-13033. Dans la marge d'un manuscrit de Gonzalve d'Espagne on trouve son nom cité. L'hypothèse d'une divergence source de débats entre eux a été retenue, mais mériterait d'être plus étayée par d'autres documents. Il est élu premier prieur provincial de Saxe en 13033. Il est ensuite nommé au chapitre de Strasbourg en 1306, dans le contexte des problèmes posés par certaines Béguines exaltées, proches des idées d'un groupe parfois nommé Libre-Esprit, mais dont nous ne possédons que des mentions vagues dans des mises en garde contre l'hérésie hérétiques par les autorités ecclésiastiques.

En 1307, Eckhart est Vicaire général de la province de Bohême. Il accède au titre de Maître magister actu regens à Paris en 1311-13133, il entreprend une « Somme théologique » de forme inédite (Œuvre tripartite) avec une ambition encyclopédique3. Vers 1314, il est promu vicaire général de Teutonie, résidant à Strasbourg3.

En 1325, une enquête diligentée par l'évêque de Cologne expose les premiers soupçons sur son orthodoxie. Un dominicain et un franciscain dénoncent en 1326 certaines de ses propositions à l'Inquisition. Contre son gré et contrainte de suivre la procédure engagée, la hiérarchie de l'Ordre dominicain est tenue de donner une suite juridique à cette dénonciation. Dans ce cadre, a lieu l'instruction du procès en 1327 sur des phrases de Maître Eckhart sorties de leur contexte et tronquées, selon Marie-Anne Vannier3. La procédure lancée contre lui est dite « Pro movente » : en ce cas, le prévenu ne bénéficie d'aucune présomption d'innocence et doit se justifier. Ses deux dénonciateurs seront dans l'année suivante poursuivis pour calomnie, désobéissance et diverses autres fautes qui leur valurent d'être arrêtés et maintenus en cellule fermée. Il est actuellement reconnu qu'ils ne possédaient pas les connaissances nécessaires pour critiquer un "magister" et que la jalousie devant sa popularité fut un de leurs premiers moteurs.

Le 27 mars 1329, 28 thèses extraites ou prétendument extraites des œuvres latines et des prédications allemandes de Maître Eckhart sont condamnées par une bulle de Jean XXII, In agro Dominico. Les propositions sont jugées fausses pour 17 d'entre elles et malsonnantes pour les autres4. Chaque proposition a été ou réfutée ou replacée en son contexte par Maître Eckhart dans le dernier texte que nous possédons de lui. Le procès d'Eckhart a fait l'objet d'une étude synthétique contenant les hypothèses plausibles de son déroulement5.

La date et le lieu exacts du décès d'Eckhart ne sont pas connus avec certitude. On suppose qu'après avoir répondu à ses détracteurs à Cologne en 1327, il a entrepris courant 1328 de se rendre en Avignon pour affronter son accusation devant le pape. De rares archives consignent ce voyage. Des documents relatifs au procès d'Avignon conservés à la Bibliothèque Vaticane suggèrent, de façon implicite, qu'il se présenta devant Jean XXII : ce n'était qu'un détail de procédure. Il est le premier Maître en Saintes Écritures à devoir ainsi se justifier de son vivant. Ayant fait appel au Pape contre une décision du tribunal colognais, son audition personnelle est plausible, sans être prouvée. La bulle In agro Dominico, elle, laisse au contraire entendre qu'il est décédé avant. C'est le seul document en faveur de l'hypothèse selon laquelle il serait mort avant le 27 mars 1329, date de la bulle6.

En 1992, la demande de réhabilitation de Maître Eckhart soumise par le Chapitre général dominicain aboutit à un jugement déclarant que sa réhabilitation n'a pas lieu d'être. Telle est en bref la réponse que le Maître de l'Ordre de l'époque, Timothy Radcliffe, reçut du Vatican en 1992, et qu’il résume ainsi dans une lettre datée du 15 août 1992, à Peter Talbot Wilcox, alors président de la British Eckhart Society : Nous avons essayé de faire lever la censure qui pesait sur Eckhart, écrit Radcliffe. On nous a répondu qu'en réalité ce n'était pas nécessaire, car il n'a jamais été condamné en son nom propre, que c'est seulement le cas de certaines de ses propositions ; par conséquent nous sommes parfaitement libres de dire que c'est un bon théologien orthodoxe7.

Enseignements

Le prieuré d'Erfurt

Axe central

L'enseignement spirituel de Maître Eckhart est formulé à partir d'une invitation au détachement de "tout ce qui n'est pas Dieu", selon une expression qu'il emploie souvent. Ce renoncement à toute possession est nécessaire pour l'union à Dieu, et pour la réception de Dieu dans le cœur du disciple. La réception de Dieu en l'âme du croyant — âme libérée, évidée de tout même de l'image de Dieu lui-même, rejoint le thème patristique classique (glosant sur Jean 14, 23) nommé « inhabitation trinitaire » : la Trinité descend dans le fond de l'âme (où l'intellect joue un grand rôle) avec toutes ses propriétés. Ainsi, rendu à nouveau semblable à Dieu, l'homme connaît une déification, nommée théosis dans la tradition grecque. Puisque Dieu est présent avec toutes ses qualités, l'engendrement éternel du Fils par le Père dans l'Esprit se produit désormais dans l'âme humaine. L'enfantement de Dieu dans l'âme, acmé de la vie chrétienne, est le fruit de la « divinisation » reçue de Dieu et par l'union à lui8.

Précisions

Ce détachement est exprimé sous deux registres.

Le premier a trait à une séparation (Abgeschiedenheit) qui porte à son maximum l'appauvrissement volontaire. Cependant, parce que ce qui est spirituel est supérieur à ce qui est matériel, cette "séparation" est tout d'abord spirituelle et traduite dans un ascétisme chrétien aux accents proches du stoïcisme : l'abondance de citations des auteurs stoïciens en témoigne. Plusieurs auteurs ont considéré cet aspect en parallèle de la recherche de vacuité du bouddhisme : si de nombreuses ressemblances semblent apparaître, ce serait pourtant faire erreur que de rapprocher à outrance une ascèse où le vide désengagé est un but (bouddhisme) et une recherche d'un désencombrement de soi dans une volonté de ressembler à Jésus-Christ9. Le détachement sous cette première forme est à comprendre en fonction d'une théologie de l'homme créé à l'image de Dieu - image dont la ressemblance est perdue. Retrouver la ressemblance suppose de se vider de soi, de se dénuder des images, pour que Dieu entre en soi10.

Mais le détachement eckhartien est aussi ontologique, à la fois suppression ou annihilation de ce que nous ne sommes pas (« Entbildung » dans les écrits en moyen-haut allemand) et constitution d'un dépassement métaphysique de soi (« Ueberbildung ») : donc un renoncement à tout ce qui rend l'être créé indisponible à l'action de la Grâce ; le dernier degré de ce détachement consistant même à s'affranchir de l'effort pour se rapprocher de Dieu, il conduit à une Gottbildung : déiformation11.

Il s'agit en effet moins de se décharger du poids de réalités contingentes extérieures que de cultiver et entretenir une intériorité. Ainsi disposé, l'esprit libre, le cœur humble, toute attente ou aspiration personnelle éteinte, l'intériorité insensible à toute turpitude, Dieu ne peut faire autrement que de s'y loger, comblant cette vacuité par la félicité ; « l'homme devenant par Grâce ce que Dieu est en nature. » (Maxime le Confesseur). C'est ce que l'on appelle la divinisation de l'homme, ou en grec la théosis, thème mal connu dans l'Occident chrétien, jugé parfois hétérodoxe, alors que remontant, chez les Pères, à Irénée de Lyon, et se prolongeant en de très grands spirituels tels que Nicolas de Cues qui a conservé en sa bibliothèque l'œuvre latine de Me Eckhart. Cet apparent empiètement sur la puissance divine et la suspension du mouvement spontané de la piété ont été les prétextes principaux des accusations d'hérésie, confortées par des énoncés dégagés de leur contexte de prédication, le tout amplifié par le goût de formules paradoxales12.

Ainsi, contre la tendance générale à l’abandon du monde, Eckhart proclame et justifie théologiquement la possibilité de réintégrer l’identité métaphysique avec Dieu tout en restant dans le monde. Il s'agit d'une formulation chrétienne d'une union effective à Dieu. Il est préférable d’aller du vocabulaire latin au vocabulaire allemand pour comprendre Eckhart sans risque. Ainsi en va-t-il pour le mot déité, présent dans nombre de traductions françaises. Or, le texte latin d’Eckhart utilise toujours le couple « deus-divinitas », à une seule exception où ce couple devient « trinitas-deitas », et en allemand « Gott-Gottheit ». Une traduction se voulant savante a introduit le terme déité dans la traduction française, équivalent à deitas en latin, au lieu de conserver le texte eckhartien divinité, instillant l’idée qu’Eckhart reprendrait une partie de la théologie de Gilbert de la Porrée au premier quart du xiie siècle. Selon l'adage « Tout ce qui est en Dieu est Dieu », alors, demande de la Porrée, par quoi Dieu est-il Dieu, puisque ce par quoi on est quelque chose n'est pas celui qu'on est ? Ainsi il introduit la distinction entre Dieu, divinité et déité. Eckhart ne le suit pas dans sa radicalité, même s'il connaît ses conceptions ontologiques, surtout à travers les reprises aménagées par Alain de Lille dans ses Règles de Théologie. Il emploie à dessein un autre vocabulaire pour se mettre à distance des excès porrétains, principalement dans sa théologie de la création13. Cet exemple philologique montre qu’encore de nos jours, le christianisme affiché d’Eckhart et sa volonté d’orthodoxie n’est pas comprise, même de lettrés censés être spécialistes de cette période14.

L’expérience mystique est vue comme le retour à la Divinité manifestée dans le Christ vivant en le cœur du croyant. La vocation prédestinée de l’homme est d’être en Dieu. Si le Père engendre le Fils dans l’éternité, Dieu engendre le Fils dans le fond sans fond, l' abditus mentis d'Augustin, ou Grund en moyen-haut allemand, de l’âme. Toute cette théologie est très classique et porte le nom d'inhabitation trinitaire15. Ce n'est pas cette thèse qui a suscité la haine de deux confrères dominicains contre Eckhart, mais le refus de la Réforme de l'Ordre, réforme à laquelle a pris part le frère dominicain Eckhart, et qui contrariait certains de ses confrères16.

Les reproches faits à la théologie eckhartienne

Ce qui finalement a monté des adversaires contre Eckhart est un ensemble complexe 17 :

des thèses utilisant le vocabulaire des béguines18, affirmant qu'existe dans « le fond sans fond » de l'âme quelque chose qui échappe au temps, à l'espace et à tout mode d'existence, bref quelque chose d'éternel et de divin - une divine étincelle19. La peur du panthéisme qui est évoqué parfois de nos jours ,'a pas nourri les critiques exprimées dans les actes d'accusation, publiés dans le cinquième tome de l'édition critique de son œuvre latine. Certes, Cornelio Fabro, affirme que ce panthéisme se déduit du fait que « l’esse et l’essentia chez Eckhart ne sont pas du tout l’esse et l’essentia thomistes. Mais il n'est pas la référence majeure sur ce sujet. Les unités de recherches scinetifiques dirigées par la Meister Eckhart Gemeinschaft en Allemagne, et Madame le professeure Marie-Vannier et son groupe de Recherches (ÉRMR, université de Metz-Lorraine) sont actuellement les auteurs des articles dits de référence sur un thème très complexe. Si Eckhart distingue comme tous les maîtres scolastiques l'être (esse) et l'étant, il ne réduit pas l'étant à l'existance, et n'oublie pas que l'Incarnation et l'immanence interdisent d'abstraire le divin de l'étant en actes. Ainsi déclare-t-il dans son Commentaire de la Sagesse 20 :

« S’il y avait en effet une justice et une autre, plusieurs justes seraient justes : ils seraient justes de manière équivoque, ou bien la justice se comporterait de manière univoque dans les justes. Mais en réalité, c’est de manière analogique, exemplaire, et primordiale qu’elle se tient, et elle ne tombe pas sous le nombre ni sous le temps. Et c’est quelque chose de général pour toutes les réalités spirituelles divines, suivant ce qui est dit dans le Psaume (147 (146-147), 5) : De sa Sagesse il n’est pas de mesure, ainsi que je l’ai remarqué ici-même. Car toute sagesse vient de Dieu, déclare l’Ecclésiaste, 1, (1). De là vient qu’Avicenne dit dans sa Métaphysique que la justice et la vertu sont par le Donateur des formes, mais il dit que les accidents corporels sont par l’action des qualités actives du corps qui sont variables »

De la sorte, il se positionne à la suite de Thomas d’Aquin contre les extrémistes des tenants de l’univocité comme de l’équivocité de l’être. Deux tendances existent bel et bien. Il y a ceux pour qui les mots conservent leur sens dans la réalité transcendante (divine) ou immanente (crée), ce sens unique qualifie l’univocité de l’être, qui est plus fréquent dans la postérité et l’oeuvre de Bonaventure. En contrepoint, l’école thomiste défend la stricte rupture ontologique et donc une équivalence, une réalité équivoque, entre ces deux. Or Dieu seul est l’être. Dès lors Maître Eckhart est placé dans les penseurs de l’équivocité de l’être.21ne reconnaît qu'un seul véritable acte [esse], Dieu, alors que pour saint Thomas chaque créature possède son propre acte formel (l’essentia) et son propre acte réel (l’esse - actus essendi) ». Ainsi, certains auteurs actuels ont manqué de nuance et propagé à tort une lecture panthéiste22. La première difficulté, toujours actuelle est celle du niveau de langage qui donne aux mêmes phrases des sens différents. Il semble qu'une partie des juges d'Eckhart en Avignon soient des partisans d'une théologie autre que le thomiste. Ceci a guidé le style littéraire de Maître Eckhart, et a nourri d'autres reproches, telles que ses formules paradoxales.

un goût de formules paradoxales où les données les plus subtiles de la dogmatique chrétienne sont exprimées de façon telle que même certains maîtres s'y perdent23 ; après sa mort, à la fin du xive siècle, Zerbolt van Zutphen, un des fondateurs de la Devotio Moderna, en fera le contre exemple d'une saine prédication 24. Eckhart commet l'erreur de prêcher à des laïcs simples des « subtilités » qu'ils ne peuvent comprendre. Le Dévot moderne résume ainsi le fond de l'accusation portée contre Eckhart déjà en son procès, et à laquelle Eckhart avait répondu qu'il ne faisait en cela que suivre l'exemple du Christ qui donnait à tous des enseignements subtils. Cette charge du bibliothécaire de Deventer prend précisément place dans un court traité demandant si la Bible doit être traduite en langue populaire et proposée intégralement à tous. La réponse de Zerbolt van Zutphen sera celle reprochée longtemps à l'église catholique : afin d'éviter aux laïcs de se tromper, il ne faut pas leur donner plus que l'exemple de la piété et de la vertu, quitte à placer des vies simplifiées du Christ en lieu et place du texte biblique intégral. L'abandon actuel de cette attitude est un des éléments jouant en faveur d'un nouvel engouement pour Eckhart, perçu comme victime de la montée d'un obscurantisme. 25 une accentuation très nette du primat de la grâce de Dieu, qui ne pouvait qu'assimiler les chantres d'une ascèse volontariste à d'orgueilleux faux dévots26.

La difficulté de ses thèses a conduit à de nombreuses interprétations erronées de son message. Eckhart avait pour projet d'écrire une œuvre originale. À l'époque des Sommes théologiques, il envisageait un ouvrage tripartite combinant les commentaires bibliques et la spéculation, organisé autour de mille questions. Cet Opus Tripartitum n'a pas été achevé, et les chercheurs tentent actuellement d'en retrouver des éléments dans les œuvres qui nous sont parvenues27.

Le portail de maître Eckhart au prieuré d'Erfurt.

La théosis, ou divinisation, l'inhabitation trinitaire, le primat de la grâce, la structure paradoxale du dogme chrétien qui est une suite d'apories maintenues (Christ Dieu et homme, mort et vivant, Dieu un et trois ; l'homme saint et pécheur, le salut déjà là et pas encore là, etc.) – tout cela appartient à la tradition chrétienne, portée par les plus grands maîtres. C'est même l'une de ses caractéristiques ; le « problème Eckhart » ne serait donc plus qu'un problème de compréhension, une fois posé que Maître Eckhart refuse le principe scotiste (de Jean Duns Scot) de l'univocité de l'être28 : ce principe pose comme préalable l'incapacité de transporter en Dieu par analogies des principes ontologiques formulés au sujet de ce qui n'est pas Dieu.

Selon Benoît Beyer de Ryke29, la condamnation de Maître Eckart aurait pour origine avant tout le fait qu'il ait cherché à faire passer ses théories non pas dans ses traités théologiques en latin – dont la lecture était réservée à un petit nombre de lettrés – mais dans ses sermons publics adressés en langue vernaculaire, donc comprise de tous, à des dominicains mais aussi à des béguines et surtout à de simples laïcs. Marie-Anne Vannier résume ainsi la situation : [C]e n'est pas sa théologie qui est en cause, mais le succès de sa parole auprès des foules. Eckhart se défend, montre qu'il est allé au cœur de la foi et reste uni à Dieu. On lui reproche de faire connaître à tous les plus hautes réalités de la vie spirituelle30. Selon les spécialistes allemands du droit médiéval (W. Trusend), la mise en accusation d'Eckhart dans une bulle limitée géographiquement est le fruit de querelles internes à l'Ordre dominicain, venues de la volonté de réforme du frère Eckhart.

On ignore la date exacte de son décès : il partit de Cologne à destination d'Avignon pour défendre ses thèses ; ensuite, sa trace est totalement perdue, ce qui ajoute encore au mystère l'entourant, puisqu'il n'a pas laissé d'autobiographie, et a restreint au strict minimum les confidences sur sa vie.

L'inspiration de Maître Eckhart

Maître Eckhart applique un principe fréquent au Moyen Âge : la discretio - il ne dit rien à son propre sujet. Une digression dans le commentaire de la Genèse, au sujet d'une plante utilisée en ophtalmologie, nous apprend un rare détail à son sujet : il avait des problèmes de vue, sans doute partiellement guéris. Cette discretio est-elle un phénomène de son temps ?

La réponse est nuancée : de façon générale, les mystiques n'ont rédigé le récit de leurs expériences que sur demande de leurs confesseurs ou maître spirituel, plus rarement sur demande de l'être spirituel (Dieu, Vierge Marie) qui leur serait apparu. Les autobiographies médiévales existent donc, mais sont rares : Suso fait exception à la règle. La condamnation d'Eckhart semble avoir interdit toute biographie posthume, qui nous aurait renseignés sur son parcours intellectuel précis.

La pointe de son enseignement, là où il se distingue, n'est pas la prédication d'un détachement qui en ferait un genre de Bouddha chrétien. Ce détachement, ainsi que le montrent les derniers textes traduits, est un moyen de parvenir à l'accueil de Dieu en l'âme. Dieu y est accueilli avec toutes ses capacités. Dans un unique mouvement de grâce, l'homme est alors divinisé et enfante le Verbe, seconde Personne de la Trinité, dans le fond de son âme.

Cette théorie de la divinisation de l'homme, oubliée peu à peu à partir du xve siècle est redécouverte désormais en partie grâce à Eckhart. Telle est pour la plupart des Pères, ainsi que des maîtres médiévaux, la nature du salut chrétien : devenir par grâce ce que Dieu est par nature (Maxime le Confesseur) ; autrement dit : Dieu s'est fait homme pour qu'à son tour l'homme soit, par la grâce, divinisé, fait Dieu, sans perdre pour autant son identité. Pour Eckhart, cette deiformatio et l'enfantement de Dieu dans l'âme sont deux visages d'une même réalité : l'accueil, dans une âme détachée de tout, même de ses idées les meilleures sur Dieu, de la grâce qui sauve et glorifie dans l'union à Dieu. Beaucoup retiennent pourtant à son sujet l'influence d'Augustin, et du Pseudo-Denys l'Aréopagite, principalement dans toute la thématique dite « théologie négative », où ce qui est dit de Dieu est toujours au moins imparfait, au pire faux, bien qu'il soit nécessaire d'apporter une parole à l'être créé, alors que selon Eckhart, ce que désigne la parole n'est pas atteignable par les mots. Le seul argument faisant état du nombre de citations d'Augustin montre que celui-ci demeure sa première source.

On trouve dans Le Miroir des simples âmes anéanties, une thématique proche de celle que développera Maître Eckhart. Son auteur, Marguerite Porète, fut brûlée à Paris le 1er juin 131031, peu de temps avant le premier séjour qu'il y fit. Or, l'inquisiteur chargé d'instruire son procès résidait dans le même couvent qu'Eckhart. On trouve, disséminées dans l'œuvre d'Eckhart, de discrètes mais fermes allusions à l'ouvrage de Marguerite Porète, Le miroir des âmes simples anéanties, et à d'autres béguines.

Eckhart cite fréquemment de nombreux auteurs dont :

Aristote

Sénèque

Augustin (de loin l'auteur qu'il cite le plus souvent)

Denys l'Aréopagite

Boèce

Bernard de Clairvaux

Thomas d'Aquin

Albert Le Grand

Avicenne

Averroès

Les chercheurs français et allemands réunis au sein de l'Équipe de Recherches sur les Mystiques Rhénans (Université de Lorraine, centre Écriture, France) et de la Meister-Eckhart-Gesellschaft (MEG) (Univ. Erfurt, Allemagne) ont engagé actuellement un programme de mise au jour et d'analyses des références présentes en ses écrits, principalement les références patristiques. Il faut donc attendre la fin de ces études en cours32 pour en donner le résumé. Il a recours à des éléments de poésie, profane ou religieuse, et à des séquences liturgiques. En outre, il montre une excellente connaissance des sources habituelles de la scolastique (les Règles de théologie d'Alain de Lille), et même du droit (décret de Gratien). Si Platon est cité, Aristote l'est plus encore. Eckhart, selon la question, se déclare explicitement tributaire de l'une ou l'autre tradition philosophique.

Il est dans la continuité, et non dans la répétition, des penseurs dominicains du xiiie siècle. Il prolonge le travail de pensée du dogme chrétien engagé par son ordre dès la naissance de la scolastique. Sur de nombreux points, il renvoie à Thomas d'Aquin. Comme ce dernier, il est très fidèle à la devise de son ordre : Contemplata aliis tradere (communiquer aux autres ce qui est contemplé). Mais il sait aussi préférer ou inventer des solutions originales là où les réponses thomasiennes ne le satisfont pas. À la différence de Thierry de Freiberg, un de ses prédécesseurs immédiats, à la fois dans le monde germanique et dans l'ordre dominicain, il se préserve des thèses d'Avicenne. De même, il n'utilise pas autant Proclus qu'Albert le Grand.

La postérité de Maître Eckhart

Maître Eckhart fut le fondateur du courant spirituel que l'on appelle la Mystique rhénane. Deux grands prédicateurs dominicains furent ses disciples immédiats :

Jean Tauler (±1300, †1361) prêche à Strasbourg et à Bâle. Il reste très proche d'Eckhart, tout en donnant moins de place à la pensée de ce dernier, du moins apparemment et dans le domaine spéculatif, et plus à la parénèse 33.

L'Ami de Dieu de l'Oberland (dates inconnues), figure centrale du mouvement des Amis de Dieu, dont Jean Tauler fut l'inspirateur. La conversion de Jean Tauler lui fut longtemps attribuée, sur la base du Livre du Maître (Meisterbuch).

Rulman Merswin (1307-1382), disciple de Jean Tauler et de l'Ami de Dieu de l'Oberland, auteur du Livre des neuf rochers.

Henri Suso (1296-1366) à Cologne se distingue par une grande place accordée aux images et à l'imitation du Christ souffrant34.

Nicolas de Cues fut un lecteur attentif d'Eckhart : c'est grâce à sa bibliothèque que nous conservons le seul manuscrit des sermons latins d'Eckhart, annoté de sa main.

Jan van Ruusbroec, le grand mystique flamand redécouvert par Maeterlinck au xixe siècle, peut être replacé dans le courant de la mystique rhéno-flamande dont Maître Eckhart est le plus illustre représentant – même si leurs mystiques ne se confondent pas35.

Jacob Boehme, dans sa vision mystique globale, s'en inspire36.

Maître Eckhart a été cité à de nombreuses reprises par certains Réformateurs37. L'orthodoxie luthéro-calvinienne aura cependant tendance à rejeter l'inspiration eckhartienne, l'accusant d'inspirer les enthousiastes anabaptistes.

Les Entretiens spirituels ou Discours du discernement ont fait l'objet d'une large diffusion en France à partir de la fin du xvie siècle, parce qu'ils ont été intégrés dans une anthologie de textes de la mystique rhénane placée sous le nom de Tauler, les Institutions spirituelles. Ce livre a été publié en latin par les chartreux de Cologne et a connu trois traductions françaises entre 1587 et 1658, qui ont fait l'objet de nombreuses rééditions. Certains mystiques français en ont été profondément marqués, sans savoir que ce qu'ils lisaient était des textes de Maître Eckhart38.

Parmi les philosophes le citant, en soulignant ses qualités et son importance, on peut nommer Hegel, qui dit le lire avec intérêt39.

Au xxe siècle, le pangermanisme nazi crut pouvoir accaparer Eckhart. Alfred Rosenberg lui consacra un ouvrage en 192840 et un long développement dans Le Mythe du vingtième siècle41. Interdiction fut faite à Raymond Klibansky42 (1905-2005), parce qu'il était juif, d'étudier ses ouvrages. Cette tentative de récupérer Eckhart échoua ; comme le note Wolfang Wackernagel, spécialiste suisse de ce dernier, il n'y a pas de traces d'antisémitisme chez un auteur qui dit toute son admiration pour Maïmonide43.

Eckhart est encore invoqué par les partisans du néo-paganisme, tels Sigrid Hunke44 et Alain de Benoist. Ce dernier voit en lui un des grands « hérétiques » qui ont contribué à transmettre le paganisme en opposition avec l’idéologie officielle, et chez qui « il faut rechercher certains des principes fondamentaux d’un néo-paganisme faustien »45,46.

Eckhart a inspiré le psychologue suisse Carl Gustav Jung47.

C'est avec Heidegger que les références sont les plus explicites48. Dès son étude de Jean Duns Scot, Heidegger annonce la nécessité d'approfondir la pensée du Maître thuringien. D'après Philippe Capelle, Heidegger a cherché dans Eckhart une phénoménologie de la religion, la pensée de l'être (ontologie), et l'attente de Dieu. L'ontologie heideggerienne, et sa pensée de l'Un, s'enracinent dans plusieurs systèmes médiévaux, dont celui d'Eckhart. Plus proche de nous, la parenté avec la philosophie de Michel Henry est assez forte pour qu'une thèse et de nombreuses publications lui aient été consacrées, principalement dans le registre de l'ineffable et de l'engendrement49. Paul Petit, résistant, a été l'un des premiers traducteurs des traités et sermons en France (1942).

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1 Citations 3 Commentaires sur ses livres

Dernier livre
de Maître Eckhart

Sortie Poche France/Français : 2013-01-31

Les derniers commentaires sur ses livres

Commentaire ajouté par asymptote 2011-11-09T18:48:10+01:00
Les Sermons

Avec maître Ekhart, on prend la réelle mesure de ce que peut être le christianisme dans sa plus simple expression, mais aussi, et c'est lié, dans sa plus stricte exigence. Il nous invite à un réel travail sur soi, et non sur des ratiocinations et des querelles de théologiens.

C'est un livre marquant.

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L'amour est fort comme la mort

Intéressant, original à son époque, mais au final pas très agréable à lire, style un peu lourd.

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Dédicaces de Maître Eckhart
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Aucun évènement prévu

Editeurs

Albin Michel : 6 livres

Gallimard : 2 livres

Points : 1 livre

Rivages : 1 livre

Arfuyen : 1 livre

Editions Garnier Flammarion : 1 livre

Editions du seuil : 1 livre

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