Diagonale italienne, Tome 2 : Alessa, ils veulent ta peau

Le Politburo était réuni sous la présidence de Leonid Brejnev, Secrétaire général du parti communiste d’URSS.

Autour de la table rectangulaire siégeaient le vieux Tchernenko, Iouri Andropov, le directeur du KGB, l’idéologue Souslov, quelques autres et, sur un strapontin, le petit dernier, Mikhaïl Gorbatchev, en qualité de secrétaire général du Comité central, à titre de simple observateur. Il était bien placé pour devenir membre à part entière du Politburo, le saint des saints, mais ne l’était pas encore.

–– Camarades, entama Brejnev, en Afghanistan, c’est le bordel. En fait, c’est de plus en plus le bordel. En Pologne, ça ne sent pas bon non plus. En juin, ce pape de merde est venu prêcher la contre-révolution sous notre nez, en plein Varsovie. Il ne perd rien pour attendre. Mais l’urgent, c’est Kaboul. Iouri, fais- nous un résumé de la situation !

–– Merci camarade Secrétaire général. Camarades, en deux mots, la situation nous échappe. Comme vous le savez, l’an dernier, le parti communiste afghan a pris le pouvoir. Avant, l’Afghanistan était dans l’orbite capitaliste. Depuis un an, il est dans la nôtre, celle des forces populaires et démocratiques. Beaucoup de modernisations ont été entamées dans ce pays, demeuré arriéré sous l’effet des freins au développement, installés par les forces capitalistes. Réforme agraire avec collectivisation, droits des femmes, campagne d’alphabétisation, suppression de la religion dans l’administra…

–– Abrège camarade, abrège, sinon le camarade Tchernenko va s’endormir !

–– Quoi, qu’est-ce qu’il y a ? demanda Tchernenko en entendant prononcer son nom.

–– Rien, continue camarade Andropov. Mais abrège !

–– Bien, je résume : les islamistes se sont révoltés contre les réformes progressistes du gouvernement socialiste. À l’Est, depuis le Pakistan, le président Ziak soutient l’insurrection ; Ziak est aux manettes depuis deux ans, après un coup d’État et avoir fait pendre son prédécesseur pro américain.

Idem à l’Ouest, depuis l’Iran où les mollahs ont pris le pouvoir en début d’année.

Début juillet, Carter a signé une directive pour armer les rebelles islamistes afghans ; on le sait grâce à nos agents. C’est Brzezinski qui le lui a conseillé.

Il y a deux mois, le président afghan Taraki, qui nous obéissait, a été renversé et tué par son concurrent, communiste lui aussi, Hafizullah Amin. Depuis lors, on tente en vain de nous entendre avec lui.

–– C’est une tête de mule, une vache, un connard, explosa Brejnev ! Il se croit encore à l’époque de Staline. Il réprime tout ce qui bouge alors qu’il est en position de faiblesse. Continue, Iouri !

–– Oui, c’est ça. Il fait de la suradaptation, ce qui enflamme tout le pays. Avec les soutiens aux insurgés, de l’Iran, du Pakistan et des amerloques, vous voyez le tableau ! Et le plus embêtant pour nous, c’est que depuis 1919, l’Afghanistan a des prétentions légitimes pour un accès à la mer. S’il l’obtenait et si nous le gardions sous contrôle…, enfin, vous avez compris, l’accès aux mers chaudes de la Russie, celui que l’on recherche depuis des siècles.

–– Merci camarade Iouri, reprit Brejnev. J’ai donc décidé d’intervenir de manière massive. On va éliminer Amin et mettre quelqu’un d’autre, de plus subtil à la place. Il libérera la moitié des prisonniers politiques et reviendra en arrière sur les réformes ; ça calmera les gens, surtout avec nos chars en appui.

Gorbatchev osa demander qui remplacerait Amin.

–– Barbak comment déjà ? répondit Brejnev.

–– Babrak Karmal, un homme à nous, précisa le chef du KGB.

–– Camarades, autre chose, reprit Brejnev en pleine forme, une gâterie que vous ne connaissez pas : le 2 novembre dernier, la prise de l’ambassade US à Téhéran, c’était nous !

Les autres s’extasièrent et demandèrent comment. Brejnev n’attendait que ça :

–– Un de nos agents, infiltré au sommet des Gardiens de la Révolution, a soufflé l’idée au chef des Gardiens qui l’a lui-même suggérée à Khomeiny, pas plus compliqué que ça, n’est-ce pas Iouri ?

–– Oui Camarade Secrétaire général, tu as bien joué le coup, car c’était ton idée, c’est toi en fait qui as pris l’ambassade des yankees en Iran, Bravo à toi !

Tous applaudirent. Brejnev conclut et leva la séance.

–– C’est décidé, un de ces jours, l’Armée Rouge va aller aider nos amis afghans à gérer leur pays et à obtenir l’accès à la mer d’Arabie auxquels ils ont droit. Allons tous fêter ça à côté !