Entrevues et confidences

La villa se trouve en périphérie d’un village de style méditerranéen, un zeste mauresque. Simple et sans prétention, elle jouit néanmoins d’une situation privilégiée en bord de mer, calme et proche de la nature. Nous nous y sommes rendues à bord d’une petite décapotable, une Mark IV de 93, fierté de sa propriétaire qui la conduisait vélocement. Le moteur de la Mini vrombissait, je me sentais libre et légère, les senteurs de la garrigue m’effleuraient, puis la lourdeur sensuelle de l’humidité marine jusqu’à ce que le véhicule stoppe net en pénétrant dans une petite cour dont les éclairages dissimulés se sont allumés automatiquement. À peine ai-je pris conscience du calme soudain que Roberte m’ouvre la portière, me prend par la main et me fait entrer. Désignant le sofa design de cuir bleu nuit, elle m’invite à patienter le temps d’amener les boissons.

La pièce formant un L, généreuse, s’ouvre sur des portes vitrées. Elle communique avec la cuisine, deux chambres et une salle d’eau. Un escalier de bois gris mène au premier étage. La table ronde en cerisier sur pied central métallique sert sans doute à tout, entourée de chaises claires. Deux fauteuils à accoudoirs en noyer revêtus de cuir indigo encadrent une table basse de style proche oriental. Dans un coin, une étagère audio-vidéo se fait discrète à côté d’un pastel de Francesco Clemente que je reconnais : The hand of strangers. Une cheminée ouverte attenante à une banquette complète le charme sobre du lieu.

Mon hôte s’est assise à mes côtés après avoir servi une cartagène. Les hautes enceintes stéréophoniques diffusent l’album I See You du trio The xx, tout un programme, me dis-je en mon for intérieur… Être courtisée me procure une sensation agréable que je n’ai plus éprouvée depuis longtemps. Lorgnant sur les cuisses nues sous la robe courte, je me retiens de les caresser, qu’est-ce qui me prend ? Ce doit être mon imagination qui me joue des tours, il s’agit d’une rencontre amicale, je ne vais pas me mettre à flirter ! Tout de même, ne parvenant pas à réfréner entièrement mon désir de la toucher, je pose décemment ma main sur son genou. Roberte m’attire vers son épaule sur laquelle je me laisse aller. Me caressant la tête, elle exprime sa félicité d’avoir rencontré une aussi belle personne, et bonne aussi, car elle a deviné chez moi un cœur généreux et aimant. Sa voix si douce déclenche une forte émotion qui me prend au ventre, monte dans ma gorge et la serre au point d’éclater en sanglots et les larmes coulent tandis qu’on me console.

« Je ne lui suffisais pas » résumé-je rageusement. Je saisis mon verre, la mistelle me rassérène. Roberte me fixe franchement d’une curiosité sans condescendance. Est-ce l’occasion de m’expliquer alors que je traîne ma frustration depuis des mois ? Mon amour propre a pris un coup, je suis humiliée d’avoir été déconsidérée par celui à qui je me suis pleinement donnée. Tout cela, je le dis avec exaspération, prête à changer aussitôt de sujet.

Mon interlocutrice a empoigné avec autorité mon épaule raidie pour l’appuyer contre le dossier avant de s’installer dans une nonchalance silencieuse, si proche que je peux sentir la chaleur de son souffle.

« Merde, qu’est-ce que j’ai pu l’aimer, ce tricheur ! Voulez-vous entendre mon histoire ? »